J’ai posté il y a un peu plus de deux ans ce texte dans un blog qui n’a rien connu d’autre par la suite… Il a été oublié. Je le retranscrit tel quel -image accompagnatrice comprise.
Étendue dans ce qui allait sûrement être mon lit mortuaire, je me regardais dans la glace, et je n’y voyais rien. Rien dans ce regard clair, il n’était qu’une vitre gluante. Le seul indice de la présence d’un peu de vie dans cette enveloppe résidait dans la lourde signature du temps. J’étais vieille, si vieille. Flétrie. Et vous savez quoi ? Je n’ai que dix-huit ans. Dix-huit ans et le physique d’une femme depuis longtemps ménopausée. Je sais ce que vous pourriez penser, qu’il s’agit d’une maladie semblable à celle que j’appelais “maladie des vieux bébés”. Mais la réalité est toute autre. C’est l’humanité qui m’a fatiguée. J’assistais chaque jour aux divagations de la société. Manipulation, secrets, hystérie, stupidité… Les humains me dégoûtaient, j’étais sans cesse victime comme témoin de leur immonde comportement. Et chaque jour en me réveillant je me découvrais de nouveaux signes de vieillesse avancée. Alors, j’ai voulu réagir, faire quelque chose, non seulement pour m’épargner mais aussi tenter de changer et améliorer le petit monde que je fréquentais. J’ai tout tenté. La compassion, la haine, la destruction, l’indifférence… Mais je vieillissais, encore et toujours. Le spectacle de la vie quotidienne me tuait.
Alors, il ne m’est resté qu’une solution ; l’ostracisme. Je suis partie vivre dans la forêt. Seule, avec les bonnes vieilles techniques de chasseurs que j’avais apprises dans de beaux livres, reliés, épais et poussiéreux. Et j’ai arrêté de vieillir. Comme ça, tout d’un coup. Après ma première nuit loin de tout ce qui serait qualifié d’évolué. Mes cheveux blancs ont reprit leur teinte miroitante, je sentais ma peau se raffermir, mes articulations respirer… Je redevins jeune, et belle. Même si j’arrive rarement à me souvenir qu’un jour la beauté occupa mes traits, l’intensité de ces quelques images de mon passé n’ont jamais faibli. Par moments, quelques randonneurs passaient non loin de moi; des campeurs passaient une nuit au bord du ruisseau qui m’offrait chaque jour une eau fraîche et presque pure; des amoureux se laissaient aller dans les fourrés ou le matin même j’avais débusqué un lapin. Alors, je me sentais de nouveau attaquée par le pourrissement. Mais ce n’était jamais long. Quelques jours au plus, et me revoilà de nouveau seule et fraîche.
Seulement, une évidente prédiction devint triste réalité. Les hommes ont commencé à s’attaquer à la forêt qui me loge et me protège. J’aimerais fuir, mais l’attaque fut si soudaine que je gagnai quarante années. Un beau matin, ils sont arrivés avec leurs animaux domestiques, et se sont mis à tout ravager. Les machines, très bien apprivoisées, abattaient, piétinaient, détruisaient sans remords et sans relâche. Quand à moi, je ne puis même pas me lever. Assise, luttant pour ne pas me laisser aller sur ma couche, j’écoute le ronronnement des grands jouets des hommes, remplaçant le doux chant des voyageurs ailés. Je ne leur en veux pas. Ils m’amènent la mort. Mais j’ai pitié. La seule raison qui me pousse à lutter tant que possible, est le désir désespéré d’équilibre. Je lutte car, une fois que je serai partie, ils seront seuls contre la Nature. Plus d’intermédiaire, plus d’ermite, plus de poète au paletot idéal de la Nature, féal, susurrant des odes à tout va dans l’espoir de concilier l’enfant Humain et la Mère, et de ralentir l’ambition du premier. L’adolescent rebelle détruisant celle qui l’enfanta, après avoir échappé à son contrôle – pourtant sage et honorable. C’est sur cette vision que finit ma vie. En y pensant, je doute que l’Homme atteigne un jour la maturité. Mon existence même semble être la preuve de l’absurdité sans limites de ce monde.